Principes et indications
Le traitement chirurgical des fractures diaphysaires des os longs chez l’animal en croissance nécessite une technique différente de celles employées chez l’adulte. L’ostéosynthèse élastique en est notamment une qui répond à ce genre de problématique.
En effet, il est apparu au fil du temps que les caractéristiques physiologiques de l’os immature (cartilages articulaires actifs, corticales fines et peu solides, périoste épais et richement vascularisé) sont trop éloignées de celles de l’os mature pour pouvoir lui appliquer les mêmes techniques d’ostéosynthèse.
Historiquement, la première technique étudiée fut l’enclouage centromédullaire pour les fractures diaphysaires du fémur. Outre le manque de stabilité en rotation et les risques d’entrappement du nerf sciatique inhérents à cette technique, de trop nombreuses complications en terme de développement (subluxations, malformations de l’épiphyse proximale,…) menèrent les chirurgiens à se diriger vers l’ostéosynthèse par plaque vissée 2, 4.
Dans un premier temps, une fixation par plaque rigide identique à celle pratiquée chez l’adulte a été utilisée, donnant lieu à de nombreuses complications par arrachage des vis. La finesse et la faible résistance mécanique des corticales du jeune ne permettent en effet pas une tenue suffisante pour des vis auxquelles toutes les contraintes mécaniques sont transmises par une plaque très rigide.
Le début des années 90 a vu la première étude portant sur un montage à rigidité limitée 8, dont le principe était d’utiliser une plaque de faible épaisseur et d’éloigner les vis du foyer de fracture, ce qui limite la stabilité du montage et permet une prise en charge d’une partie des contraintes par la flexibilité de la plaque, réduisant ainsi les forces d’arrachement sur les vis.
C’est en 2001 qu’est apparu le concept d’ostéosynthèse élastique, dans une étude portant sur 24 chiens de moins de 5 mois présentant une fracture diaphysaire du fémur 3. L’auteur y décrit une technique qui vise à adapter les principes de l’ostéosynthèse biologique aux caractéristiques de l’os immature en croissance :
- Principes de l’ostéosynthèse biologique : pontage du foyer, stabilité en flexion et rotation ; respect de l’os, du périoste et de l’hématome fracturaire.
- Adaptation à l’os en croissance : limitation du risque d’arrachage de vis par augmentation de l’élasticité de la plaque ; cicatrisation par formation rapide d’un abondant cal périosté grâce aux micromouvements autorisés par la flexibilité de la plaque 6 ; respect des plaques de croissance.
Cette technique est fondée sur la mise en place d’une plaque fine et la plus longue possible, ancrée dans l’os par seulement deux vis sur chaque fragment, occupant les trous les plus éloignés du foyer de fracture.
Récemment, une nouvelle étude a repris cette technique pour le traitement de 12 fractures de fémur mais également de 5 fractures diaphysaires du tibia chez des chiens de 2 à 4 mois de moyenne et grande races 11.
Technique chirurgicale
Le fémur ou le tibia sont abordés classiquement : latéralement pour le fémur, médialement pour le tibia 10. L’os fracturé est exposé sur toute sa longueur afin de pouvoir mettre en place une plaque la plus longue possible, les limites proximales et distales étant constituées par les plaques de croissance.
La réduction de la fracture est réalisée avec précaution pour ne pas léser davantage l’os et les structures environnantes. Il est préférable de recourir à une réduction indirecte, c’est-à-dire en manipulant les fragments osseux à distance du foyer de fracture. Cette méthode permet de respecter au maximum l’hématome fracturaire, dont le rôle est prépondérant dans la cicatrisation de l’os 7.
Les animaux opérés ayant encore un fort potentiel de croissance, on ne cherchera pas nécessairement une réduction anatomique du foyer de fracture. En effet, l’abondant cal périosté permet de combler rapidement un petit espace laissé entre les abouts, et les capacités de remaniement de l’os immature permettent de récupérer un défaut d’alignement pouvant atteindre 20° 8. Il est surtout nécessaire de veiller à l’absence de défaut en rotation, car aucun remaniement ne permet de récupérer ce type de défaut durant la croissance. Le chirurgien vérifiera donc la conservation de l’axe des mouvements articulaires et dans le cas du fémur, l’antéversion de la tête et du col fémoral.
Un défaut de longueur est également partiellement récupérable par la croissance ultérieure de l’os, mais également par une modification des angles articulaires sur le membre concerné.
Traits de refend et biseau long ne sont pas traités par une vis en traction ou un cerclage, car ceux-ci semblent retarder la cicatrisation par perturbation de la vascularisation.
La fracture réduite est ensuite fixée. Chez le jeune, les fractures du tibia sont généralement peu déplacées, avec un périoste intact. Après des manœuvres minimales de réalignement, la plaque est donc fixée par-dessus le périoste. À l’inverse, les fractures du fémur présentent habituellement un fort déplacement à cause des fortes contraintes musculaires s’exerçant sur cet os.
On assiste généralement à une forte réduction de la longueur, avec chevauchement des abouts osseux, le périoste étant fréquemment déchiré sur tout ou partie de sa circonférence. Le réalignement est assuré par réduction indirecte et la plaque peut être fixée sur ou sous le périoste 11.
Choix de la plaque
Les auteurs des deux études ont porté leur choix sur des plaques VCP, généralement pour vis de 2,0 ou 2,7 mm. Ces plaques présentent l’avantage de pouvoir être coupées à la longueur désirée, correspondant ici à l’écartement maximal des vis par rapport au trait de fracture, et leurs caractéristiques physiques paraissent bien adaptées à la recherche d’un montage élastique 5.
La plaque est d’abord mise en forme en prenant exemple sur la radiographie du membre controlatéral. Les vis sont insérées dans les 2 premiers et 2 derniers trous de la plaque et serrées sans taraudage préalable.
Pour le fémur, les vis proximales sont proches de l’insertion du vaste latéral, les vis distales proches de la plaque de croissance. Pour le tibia, les vis proximales et distales sont proches des plaques de croissance.
Les vis adjacentes sont insérées dans deux plans différents pour augmenter la résistance à l’arrachage.
Les auteurs de la seconde étude proposent la mise en place d’une troisième vis lorsqu’il existe un doute sur la tenue de l’une ou des deux premières.
Le site opératoire est ensuite refermé de façon classique. Un simple pansement collé est mis en place sur la plaie fermée, aucune contention externe n’est ajoutée afin de favoriser la reprise d’appui rapide et d’éviter une maladie fracturaire 1.
L’animal est hospitalisé jusqu’à 1 ou 2 jours post-opératoires, puis rendu au propriétaire avec des consignes strictes de limitation de l’exercice et de sorties en laisse exclusivement (point primordial mais fréquemment problématique pour de jeunes chiens ayant parfois leur premier contact avec une laisse à cette occasion).
Ces mesures sont maintenues jusqu’à ce que le suivi radiologique ne montre un rétablissement de la continuité osseuse sur 2 radiographies dans des plans perpendiculaires.
L’ablation du matériel d’ostéosynthèse est alors proposée au plus vite, avant que la présence de l’implant n’ait de conséquences sur la maturation de l’os.
Résultats
La plupart des chiens recommence à utiliser le membre opéré dés le premier ou deuxième jour suivant l’opération, ce qui permet une sortie d’hospitalisation rapide et allège le travail de gestion du propriétaire.
La formation du cal périosté est observée en moyenne au bout de 15 jours, débutant sur les faces de l’os non occupées par la plaque, puis gagnant cette dernière. L’instabilité relative du montage provoque la formation d’un imposant cal périosté sur la face opposée à la plaque, ce qui permet un étayage rapide du foyer qui décharge la plaque d’une partie des contraintes. La vitesse de formation de ce cal rend inutile toute greffe d’os spongieux pour remplir une éventuelle perte de substance ou défaut de réduction.
Le cal est considéré comme complet lorsqu’il ponte entièrement le foyer de fracture sur 2 vues radiographiques réalisées dans des plans orthogonaux. Ceci est souvent le cas dès 4 semaines post-opératoires et en moyenne après 5 à 6 semaines.
L’ablation du matériel d’ostéosynthèse peut donc être réalisée dès 4 semaines dans les cas les plus rapides, et dans tous les cas peu de temps après que le cal soit déclaré radiologiquement complet.
Le remodelage du cal débute en moyenne 2 mois après l’opération, il est bien avancé après 4 mois, avec une corticalisation visible radiographiquement.
La reprise d’appui est rapide, le résultat fonctionnel jugé très bon à excellent dans tous les cas. La croissance de l’os opéré paraît normale lors du suivi radiologique.
Complications et anomalies radiologiques
Sur les deux études précédemment citées, seule une complication majeure dans la seconde étude 11 a été observée, sur un total de 41 chiens. Il s’agissait d’un pliage de la plaque d’ostéosynthèse au niveau du foyer de fracture sur un jeune beauceron de 4 mois, 3 jours après la chirurgie. Cette fracture, réopérée à la suite de cet échec avec une plaque DCP pour vis de 2,7 mm et 3 vis dans chaque fragment osseux (donc avec un montage rigide) a cicatrisé légèrement moins vite que les autres (cal complet en 8 semaines). Le résultat final après ablation du matériel d’ostéosynthèse a été jugé excellent.
Cette étude, plus poussée sur le plan du suivi radiologique, a également montré outre cette complication la présence d’anomalies radiologiques sans conséquences fonctionnelles : 2 cas de croissance exacerbée en longueur ont été observée sur des fémurs 5 semaines après la chirurgie (respectivement 2,3 et 2,6% par rapport au fémur controlatéral), ce qui constitue une anomalie connue en chirurgie humaine avec des cas similaires sur des fractures de fémur d’enfant.
Cette « hypercroissance » peut être expliquée par la déchirure du périoste sur toute sa circonférence et donc une décompression des plaques de croissance, ou par une hypervascularisation réactionnelle des plaques de croissance. Pour l’un de ces cas, le suivi radiologique 2 mois après le retrait des implants ne montrait plus de différence de longueur entre les 2 fémurs. De plus, une faible différence de longueur est sans importance chez le chien, puisque facilement contrebalancée par une légère fermeture des angles articulaires.
Un cas de légère rétroversion de la tête et du col fémoral , du à un défaut d’alignement en rotation, a également été observé. Aucune conséquence fonctionnelle n’y était associée.
Intérêts et limites
Cette technique d’ostéosynthèse paraît tout à fait adaptée à la physiologie des os longs en croissance. Elle permet une reprise d’appui et une cicatrisation osseuse rapides, ce qui est primordial pour éviter une maladie fracturaire. Le taux de complications sérieuses est faible et les deux études citées présentent des résultats bons à excellents pour tous les chiens opérés sauf un.
Cependant, l’ostéosynthèse élastique n’est pas applicable à tous les os longs : les fractures du radius et de l’ulna feront plutôt appel à une fixation beaucoup plus stable et rigide qui permettra une cicatrisation par cal cortical, car le volumineux cal périosté présent avec l’ostéosynthèse élastique constituerait un important facteur de risque de synostose dans ce cas.
De plus, la complication majeure (pliage de la plaque) rencontrée dans l’une des études montre la difficulté de trouver un équilibre entre l’élasticité du montage et la rigidité nécessaire pour maintenir la réduction lors de la reprise d’appui.
Il est donc impératif de tenir compte de plusieurs critères avant de choisir le traitement par ostéosynthèse élastique : l’âge de l’animal est bien sûr un critère primordial, mais il doit être corrélé au poids (et donc aux contraintes mécaniques induites par l’appui du membre) ainsi qu’au degré d’activité prévisible du chiot durant la phase de cicatrisation osseuse. Dans certains cas, il peut être préférable d’associer un clou centromédullaire de faible diamètre pour diminuer les contraintes sur la plaque sans trop augmenter la rigidité du montage ou encore d’associer deux plaques VCP « sandwichées ».
L’existence de lésions associées sur d’autres membres, qui augmenteront la charge sur le membre opéré, est également un facteur limitant. L’évaluation de l’épaisseur des corticales sur les clichés préopératoires doit également être prise en compte pour écarter ou non la possibilité d’une ostéosynthèse rigide sans risque majeur d’arrachage des vis.
Par ailleurs, d’autres techniques d’ostéosynthèse peuvent être utilisées chez le jeune chien telles qu’un fixateur externe semi-rigide seul 12 ou un fixateur associé à un enclouage (technique du Tie-in) 9. L’expérience propre du chirurgien et sa préférence personnelle seront alors également un critère déterminant du choix de la technique.
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Auteur
Dr. Antoine Puiffe
Docteur Vétérinaire
Clinique Occitanie (Toulouse, 31)
www.vet-occitanie.com
Remerciements
Au Dr. David Jacques pour le prêt des photos.