Introduction
Contrairement à ce qui est habituellement admis, le diagnostic différentiel entre insuffisance rénale aiguë (IRA) et insuffisance rénale chronique (IRC) est difficile à établir.
Or, seule la différenciation entre IRA et IRC détermine le pronostic et permet de décider de la spécificité, de la durée et surtout de l’opportunité du traitement.
Les règles édictées pour différencier une IRA d’une IRC sont rarement suffisantes pour pouvoir affirmer le diagnostic de l’une ou de l’autre des entités1 (tableau 1).
Tableau n°1 : éléments du diagnostic entre une IRA et une IRC d’après Vaden SL, 20001
La difficulté vient du fait que
- Nombre de maladies rénales chroniques évoluent à bas bruit, le rein mettant en place des mécanismes compensateurs et adaptatifs qui permettent au parenchyme rénal de fonctionner normalement jusqu’au stade terminal.
La brutalité de cette ultime phase oriente le clinicien vers un diagnostic erroné IRA. - À contrario, lors de phase de cicatrisation et de récupération d’une IRA, la polyurie associée à l’augmentation de l’urée et de la créatinine évoquent plutôt une IRC, d’autant plus que ces signes biologiques et cliniques peuvent se poursuivre plusieurs semaines et même plusieurs mois.
Le diagnostic différentiel entre IRA et IRC fait appel aux étapes du diagnostic des néphropathies
- identité du malade
- commémoratifs
- examen clinique
- examens biologiques
- morphologie
- structure rénales et histologie.
Le but de cet article est de passer en revue tous ces éléments du diagnostic et de déterminer leur importance pour cette différenciation.
L’identité du malade
L’identité du malade en particulier son âge, son sexe, sa race sont à analyser.
Pour l’âge, les vétérinaires ont tendance à considérer que ce sont les animaux les plus vieux qui sont touchés par des IRC. Cela est plus vrai chez le chat, où les animaux de plus de 7 ans sont plus fréquemment touchés, et ceux de moins de 3 ans sont moins touchés2.
Chez le chien, bien que cela soit généralement admis, il n’est pas démontré que l’âge soit un facteur de plus grande fréquence de l’un ou de l’autre des syndromes.
C’est ainsi que la fréquence des lésions de glomérulonéphrite chronique est constante entre 5 et 15 ans, et que la fréquence de l’IRC due à l’amyloïdose rénale diminue après 9 ans3.
Il ne faut jamais oublier que des IRC peuvent être la traduction chez les très jeunes de néphropathies congénitales ou d’autre processus (néphropathies toxiques, infectieuses dues à des anomalies du tractus urinaire, anomalies congénitales du tractus urinaire responsables de lésions rénales secondaires).
Dans une étude, les mâles non castrés sont plus fréquemment sujets aux IRA qu’une population de référence4. L’auteur l’explique par la plus grande propension de cette frange de la population à vagabonder et à être ainsi exposés aux toxiques et aux infections.
La race est un facteur de suspicion pour un certain nombre de maladies rénales responsables d’IRC.
C’est ainsi que l’amyloïdose se rencontre plus fréquemment chez l’Epagneul breton, le Setter anglais, le Beagle, le Bruno du Jura, le Fauve de Bretagne5, Il a été décrit des familles de Shar Pei6 et d’Abyssins (DiBartola et al., 1985) touchées par l’amyloïdose.
La maladie polykystique rénale est fréquente chez les chats persans, des études récentes parlent d’une incidence supérieure à 30%.
Les néphropathies familiales sont responsables de lésions qui touchent diverses parties du néphron. Elles conduisent en quelques mois ou quelques années à une IRC.
Les races pour lesquelles le caractère de maladie familiale a été démontré sont l’Elkound norvégien, le Cocker spaniel, le Samoyède, le Doberman, le Basenji, le Lhassa Apso, le Shi Tzu, le Caniche moyen, le Weaten Terrier à poil souple, le Bull Terrier, le Bouvier bernois.
Les commémoratifs
Les commémoratifs font état pour les IRC d’une longue période (plusieurs mois) de polyuro-polydipsie, de troubles digestifs, de perte de poids, de mauvais état général, de baisse de forme, de diminution de l’appétit.
Mais, les signes généraux de souffrance rapportés par les propriétaires peuvent être ceux d’une maladie systémique comme un lymphome, l’insuffisance rénale pouvant être aiguë et secondaire à l’hypercalcémie induite (Vaden SL, 2000).
Souvent les IRC se manifestent brutalement, en particulier lors de lésions glomérulaires.
C’est une déshydratation au cours d’une gastro-entérite banale, d’un épisode de chasse, d’un coup de chaleur, d’une infection du tractus urinaire, d’une babésiose, d’une leptospirose qui vont révéler brutalement l’insuffisance rénale, lui donnant un caractère faussement aigu et mettant au premier plan l’accident déclenchant (Pagès JP et al., 1989).
Dans un très grand nombre de cas, des troubles chroniques de la miction (polyurie, nocturie, polydipsie) ne sont pas rapportés par le propriétaire, alors qu’ils sont un des éléments de base du diagnostic.
D’autre part, certaines IRA débutent par un épisode de polyuro-polydipsie attribué à tort à de l’incontinence urinaire chez les jeunes sujets.
Un certain nombre d’éléments sont des facteurs prédisposants d’une IRA : âge avancé des sujets, infection grave, insuffisance cardiaque, insuffisance hépatique, infectionchronique du tractus urinaire, diabète, anesthésie ou association de plusieurs de ces causes favorisantes.
L’administration d’AINS, d’aminosides, d’IECA, de vitamine D, de cisplatine, d’amphotéricine B, de tétracyclines périmées, de pénicilline, de rifampicine sont en faveur d’une IRA (Pagès JP et al., 1995).
Les deux causes les plus fréquemment rencontrées lors d’IRA nosocomiale sont l’âge avancé et la néphrotoxicité (Behrend et al., 1996).
La région où a vécu le malade peut être un élément de détermination du caractère de l’insuffisance rénale (aire géographique d’une leishmaniose, d’une filariose, d’une babésiose, de la leptospirose pour les DOM TOM ou parfois de maladies plus rares comme une trypanosomiase).
Peut intervenir la saison, comme pour la leptospirose, avec des pics de plus grande fréquence au printemps et à l’automne et les périodes d’inondation (Pagès 2001).
L’examen clinique
L’examen clinique peut faire état de signes non spécifiques du type d’évolution comme
- les ulcérations buccales
- des nécroses de la langue
- les vomissements
- la diarrhée.
Les signes sont parfois plus spécifiques d’une insuffisance rénale chronique (ostéodystrophie, halitose, anémie, amaigrissement, poil piqué), ou d’une IRA comme l’existence d’un bon état général se détériorant rapidement.
Les signes cliniques associés permettent parfois de déterminer l’existence d’une maladie responsable d’une IRC (adénocarcinome des glandes anales et néphrocalcinose, lithiase urinaire, leishmaniose, tumeur de la prostate, etc…) ou d’une IRA (septicémie, pancréatite, leptospirose, babésiose).
L’examen clinique doit être complet et particulièrement ciblé sur l’examen du tractus urinaire.
Les reins sont de taille normale ou augmentée lors d’IRA.
Toutefois, dans nombre de maladies rénales chroniques les reins sont également de taille normale ou augmentée (glomérulopathies, hydronéphrose, épanchements sous-capsulaires, reins polykystiques, tumeurs rénales, infiltrations rénales).
L’examen du fond d’œil permet parfois de suivre une piste sérieuse du type d’insuffisance rénale, et parfois même de suspecter son origine lésionnelle voire l’étiologie de la lésion (Pagès JP, 2000).
Les examens de biologie
Les examens biologiques sont un élément important dans la détermination de la lésion rénale et dans le mécanisme physiopathologique.
Ils peuvent permettre de déterminer le type d’insuffisance rénale.
Les polyuries sont fréquentes lors d’IRC. Toutefois, une polyurie existe souvent à la phase d’installation et de cicatrisation des lésions rénales lors d’IRA. Les anuries ou les oliguries sont plus caractéristiques de la phase d’état des IRA.
La présence d’un sédiment urinaire (cylindrurie) signe une insuffisance rénale aiguë. Il n’est cependant pas constant, présent dans seulement 30% des cas avec, chez 80% des malades, plus de 5 cylindres par champ (X 400) (Vaden et al., 1997).
La glycosurie associée à une glycémie normale est un indice d’IRA (23% des malades) (Vaden et al., 1997). Elle traduit le défaut de réabsorption tubulaire. Ce défaut peut être aussi présent lors d’IRC (syndrome de Fanconi, amyloïdose tubulaire) (Pagès et al., 1992).
La présence d’une bactériurie est le plus souvent non discriminante d’un des deux syndromes. Il peut s’agir par exemple d’une surinfection accompagnant une IRC, ou d’une ITU iatrogène lors d’IRA.
Si la protéinurie est présente dans 66% des cas d’IRA (Vaden et al., 1997), elle reste d’importance moyenne (rapport protéines U / créatinine U < 1,5).
Les très fortes protéinuries (rapport protéines U / créatinine U > 5) sont fréquentes lors d’IRC dues à des glomérulopathies (50% des cas d’IRC chez le chien et plus de 10% chez le chat) (Pagès et al., 1988 et 1995).
Chez le chat, une forte protéinurie se rencontre lors d’insuffisance rénale aiguë par néphrotoxicité aux AINS.
Les polyuries sont rencontrées lors de la phase lésionnelle et cicatricielle des IRA.
Les variations de l’urée et de la créatinine sont à prendre en considération.
Les valeurs de S-Urée et surtout de S-Créatinine lors d’IRC sont le plus souvent élevées mais restent stables.
On observe dans les premiers jours de la réhydratation d’un malade atteint d’insuffisance rénale chronique une diminution de S-Urée, traduisant la correction de sa déshydratation (insuffisance rénale fonctionnelle due aux troubles digestifs souvent associés), puis une valeur constante de S-Urée.
S-Créatinine diminue très légèrement puis reste le plus souvent stable.
Une progression rapide de S-Urée et S-Créatinine est observée dans les derniers stades de l’IRC (IR terminale).
Dans les IRA, S-Urée et S-Créatinine ont tendance à augmenter malgré le traitement, à se stabiliser lors d’amélioration puis à décroître sur une période de 3 à 4 semaines pour atteindre des valeurs de S-Créatinine de 25-30 mg/L.
Ces valeurs vont persister souvent plus de 6 mois lors de guérison.
Histologie
La biopsie rénale en identifiant le plus souvent avec précision la lésion rénale nous donne le diagnostic de la maladie rénale et le type d’évolution.
Les lésions d’insuffisance rénale aiguë sont le plus souvent des lésions de nécrose tubulaire, rarement des lésions glomérulaires ou de nécrose papillaire.
Les lésions d’insuffisance rénale chronique sont des lésions de tout type.
Chez le chien :
- 25% sont des lésions de glomérulopathie25% d’amylose glomérulaire
- 30% de néphrite interstitielle
- Alors que chez le chat il s’agit de :
- 10% des lésions de glomérulonéphrite
- de 30% de néphrite interstitielle
- de 30% de lymphomeset 30 % de lésions diverses.
Conclusion
La détermination du type d’insuffisance rénale est la première étape du diagnostic d’une insuffisance rénale. Cette étape est fondamentale dans l’établissement d’un pronostic et la conduite du traitement.
Vient ensuite la détermination du site néphronique lésé et du 1en cause.
Références
- Vaden SL (2000) Differenciation of acute from chronic renal failure In Kirk’s Current Veterinary Therapy XIII, Bonagura JD Edr Philaelphia WB Saunders ” Small animal practice “, 856-858
- Di Bartola SP et al (1987) Clinical pathological findings associated with chronic renal disease in cats: 74 cases (1973-1984), J Am Vet Med assoc 190: 1196
- Pagès et col (1992) Lésions rénales chez le vieux chien. Prat Med Chir Anim Comp
- Vaden SL et col (1997) A retrospective case control study of acute renal failure in 99 dogs J Vet Intern Med 11: 58
- Pagès JP et col. (1989). Lésions rénales de l’amyloïdose du chien
- DiBartola SP et al. (1989). Renal amyloidosis in related Chinese shar pei dogs. J Am Vet Med Assoc; 197: 483- 487
Auteur et photos
Dr. Jean-Pierre Pagès,
Dr. Méd. Vét., ECVIM
Praticien à St Orens de Gameville (Haute-Garonne, 31)
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